Pour aller au-delà de la politique de contestation : l'opportunité au sein de la pandémie et de notre crise politique

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A man wears a mask while stood next beyind a red, green and white MST flag
Cette photographie a été réalisée par Un homme assiste à une démonstration du MST. Source: wikimedia / Agência Brasil, utilisé sous licence CC3.0.
Author(s)
Stellan Vinthagen

La pandémie est une crise qui comporte à la fois une menace pour les communautés marginalisées et une opportunitépour un changement social radical. Afin de saisir cette opportunité nous avons besoin de repenser comment nous travaillons dans les mouvements sociaux, et de fabriquer prudement une stratégie pour progresser grâce à de larges alliances, des mobilisations massives d’action directe, et une compréhension de la ‘ résistance constructive’ , déclare Stellan Vinthagen , professeur d’études de résistance à l’Université de Massachusetts, et militant dans l’Internationale des Résistants à la Guerre.

Pendant la crise de la pandémie, alors que nous sommes cloués à nos demeures, j’espère que nous approfondirons nos relations en ligne avec nos compagnons militants et citoyens qui vivent loin de nous. Que nous socialiserons avec des tasses de thé ou des verres de vin, avec un film ou un intérêt mutuel, que nous développerons des plans visionnaires pour l’avenir, et que nous réfléchirons sur la façon de vivre nos vies, en nous demandant si nous vivons vraiment selon nos valeurs et nos principes. J’espère que nous nous éduquerons et que nous bâtirons nos réseaux, et que nous nous concentrerons sur la construction de larges alliances pour l’avenir.

Dans cette rupture avec notre façon de vivre normale, j’espère aussi que nous saisirons l’opportunité de rompre avec les formes ritualisées de protestation, telles que les manifestations du 1er mai ou d’autres petites marches de protestation contre toutes les choses que nous détestons. Dans ces parties du monde où la ‘démocratie libérale’ est l’idéologie de l’état, cela ne conteste rien. En Suède le premier ministre du parti travailliste manifeste et crie des slogans avec les travailleurs le 1er mai , chaque année, depuis que les travaillistes ont formé le premier gouvernement en 1932… Il y a une mythologie, héritée des mouvements d’il y a 200 ans, que nous pouvons changer la société en marchant du point A au point B dans des zones urbaines, principalement dans les capitales. Et pourtant , des gens le font encore tout le temps; ils marchent sur Washington, sur Londres, sur Berlin, et, encore et encore.

Et pourtant une telle action est futile, c'est un opium pour l'opposition ( libérale progressive)! Comme Arundhati Roy l'a dit après les plus grandes manifestations de l'histoire du monde contre la guerre en Irak en 2003: on n'arrête pas une guerre avec une manifestation du weekend.. On doit littéralement arrêter les compagnies qui profitent de la guerre.

Quand nous nous ré-éduquerons, j'espère que nous chercherons plutôt à voir la valeur de se concentrer sur une autre tradition aussi ancienne mais oubliée, des anarchistes, celle de l'action directe. Quand on voit un problème, on mobilise un mouvement qui y fait face, que ce soit en créant des alternatives ( comme le Commerce Equitable) , ou en résistant à nos adversaires avec des blocages de rues, des occupations de terrains et d' usines. L'idéal est de mettre en place nosalternatives. Mais, bien sûr, dans une société autoritaire qui rend illégales les marches de protestation , il est logique de manifester comme forme d'action directe. Alors, dans cette situation-là, la manifestation est une forme de désobéissancecivile.

Le pouvoir de la  désobéissance civile, des grèves et des interventions est bien plus grand que les manifestations et les appels. Aussi longtemps que nous, les citoyens, obéirons à leurs lois et consommerons leurs produits et leurs services, et continuerons à produire ce qu’ils veulent comme travailleurs dans les usines, les compagnies et les universités, tous les problèmes majeurs subsisteront.

Après ce confinement il faut que nous revenions avec des imaginations radicales pour une nouvelle société et les alliances larges et populaires pour les rendre possibles. 

Mais quelles sont les stratégies qui seront en fin de compte importantes pour les nouvelles larges alliances de mouvements que nous construisons pour l’avenir ? Je vais donner trois exemples: un mouvement orienté vers les manifestations, un orienté vers la résistance, et un qui , pour moi représente le plus grand espoir d’un changement social, et est bâti sur les traditions indigènes de ce que nous pouvons appeler ‘ la résistance constructive’- une résistance par la mise en place d’alternatives.

L’exemple le plus évident d’un mouvement orienté vers les manifestations est actuellement l’extraordinaire mobilisationdu Mouvement pour les Vies Noires ( ou BLM) , qui après quelques mois est clairement un des mouvements de protestation les plus larges de l’histoire des USA. Il a des répercussions dans plusieurs états, dans des petites villes et de larges cités. Les résultats politiques sont déjà visibles, avec l’arrêt du financement de la police, de nouvelles lois qui augmentent les possibilités d’inculpation de la police pour ses violences racistes et pour arrêter la militarisation de la police. Depuis 2013 ce mouvement a construit une infrastructure solide avec des leaders locaux, une présence sur les médias sociaux, des alliances et une coopération avec des groupes professionnels ( comme des avocats pour les droits civils ), ainsi que ses leaders de la Bannière étoilée sous la forme des joueurs de la NFL, préparant ainsi le terrain pour la vague que nous voyons maintenant. Dans ce sens, le BLM est un exemple de cas où les manifestations Peuvent avoir un effet, bien que cela manque beucoup de clarté, et cela dépendra de la façon dont cette ouverture maintenant créée sera traitée. Cependant , la tendance habituelle est que les mainfestations sont plus limitées et ont moins d’impact.

Un autre exemple de l’avenir est en train de mijoter aux USA , la Grève du Peuple - the People's Strike [https://peoplesstrike.org/], qui est plus concentré sur la résistance et des obstructions d’action directe contre le systèmeexistant, ce qui essaie donc de forcer les élites sociales vers le changement social. Son commencement a été marqué parune nouvelle sorte d’action du 1er mai, suivie par une série d’actions le 1er juin, le 1er juillet, le 1er août, et ainsi de suite, qui a été lancée par la communauté de libération des Noirs et les anti-impérialistes à Jackson.Mississippi . Là les gens secoordonnent en ligne au sein de probablement la plus large alliance progressiste et de gauche de l’histoire des USA, quiregroupe les grèves des travailleurs de sociétés comme Walmart, Amazon , et Wholefoods. Pendant ce temps, des ralentissements de production ont lieu dans d’autres endroits, ainsi que des grèves du loyer par des locataires, des klaxonnements de cortèges de voitures at d’autres activités. Ils sont tous unis sous le slogan que le Capitalisme est le virus. Si beaucoup de persones et d’organisations les rejoignaient, et si leurs grèves avaient un impact sur les éliteséconomiques, cela pourrait être très puissant.

Bien que cet exemple soit bien porteur d’espoir, je considère que le principal exemple d’une progression stratégique soit ces mouvements qui, grâce à des expérimentations, développent une forme de ‘résistance constructive’. Cela inclue le travail d’autonomisation des Noirs de la Coopération Jackson, à Jackson, Mississippi, les Amérindiens de la réserve de WhiteEarth au Minnesota, les Zapatistas à Chiapas, au Mexique, les Kurdes à Rojava, en Syrie du Nord, et le Mouvement des Travailleurs sans Terre ,MST, au Brésil.

Le Mouvement des Travailleurs sans Terre au Brésil, avec son organisation la plus importante , le MST (Movimento dos trabalhadores rurais Sem Terra— Mouvement des Travailleurs sans Terre ) qui est un des mouvements sociaux les plus larges d’Amérique du Sud, le MST, a été formé dans les années 1980 et mobilise 1million et demi d’agriculteurs à temps plein et de travailleurs agricoles sans terre, qui n’ont pas de terres avec lesquelles ils peuvent se nourrir. Les participants sont souvent des travailleurs agricoles sous-employés ou des habitants pauvres des favelas dans les villes. Ils se sont unis dans une lutte pour une réforme agraire socialiste et démocratique , qu’ils encouragent par la méthode d’occupation de terres improductives. Jusqu’ici ils ont réalisé plus de 2000 occupations, et ont réussi à redistribuer les terres à 350 000 personnes sans terre, ce qui est davantage que ce que le gouvernement a fait. Pendant qu’ils attendent d’occuper les terres, les militants vivent dans des campements provisoires (acampamentos). Après avoir occupé les terres , des logementstemporaires sont construits . Si le gouvernement exproprie et redistribue les terres, ils peuvent alors finalement construire des hameaux permanents (assentamentos).

Le MST a créé un programme ambitieux de développement agraire alternatif au sein de leur vision d'un 'Nouveau Brésil', qui consiste en des coopératives agricoles organiques, une gestion démocratique et sans discrimination sexuelle de leurs propres campements sur les terres occupées, des villages qui s'auto-organisent, des magasins coopératifs, des cliniques desanté, des écoles primaires et pour adultes, ainsi qu'une université militante autonome, ouverte et sans frais de scolarité.

Quand le MST exécute des occupations de terres, ils enfreignent les lois sur la proprieté privée et construisent leurs villages temporaires avec des tentes en plastique noir, créent des écoles, et cultivent la terre. Ils sont régulièrement et violemment expulsés, mais ils reviennent et reconstruisent. Avec une persistence résolue ils revendiquent leurs droits à la terre et défendent leur société émergeante avec une force collective non-armée, l’attention des mass medias et des alliances urbaines ( avec des avocats, des politiciens, des journalistes, etc…) Le point important est qu’ils ne font pas que protester, réclamer ou faire pression sur les autorités pour agir en leur faveur ou pour obtenir la reconnaissance légale de la part de l’état. Ils font ce qui est nécessaire, eux- mêmes, ici et maintenant.

Avec le temps, ils développent des coopératives, des techniques agricoles écologiques, des institutions de démocratielocale, des écoles avec la pédagogie Freire qui enseignent non seulement l'alphabétisation et la connaissance théoriquemais ausi une conscience politique. Ils créent une nouvelle société. Ainsi, avec le procédé de résistance à une des distributions de terres les plus injustes au monde, ils créent aussi les institutions alternatives qu'ils envisagent. Ils donnent ainsi forme à l'avenir politico-éthique par leur pratique de résistance, c'est-à-dire qu'ils pratiquent la résistanceconstructive. Quand une telle mobilisation atteint un certain niveau ou dimension qui cherche à remplacer la sociétéinjuste qui existe, nous pouvons parler à juste titre d'un procédé ‘révolutionnaire'.

Le procédé de-facto révolutionnaire du MTS consiste en des révolutions locales qui s’étendent et grandissent. Si nousconsidérons toutes les terres que les collectifs du MST ont libéré depuis les années 1980, la dimension totale de ce territoire correspond presque à la taille de Cuba (1). Ce qui veut dire que le MST mène une ‘révolution cubaine’ en Amérique du Sud, mais cette fois c’est une révolution localisée et répartie qui n’est pas armée. Les processusrévolutionnaires locaux sont mis en marche , sans que le MST essaie de saisir le pouvoir de l’état, mais collabore avec l’état quand c’est possible et lui résiste quand c’est nécessaire.

Ainsi, la ‘résistance constructive‘, la résistance en promulguant les alternatives, est une forme de résistance qui combine le ‘Oui’ et le ‘Non’ dans la lutte pour le changement social, et en tant que tel, c’est une stratégie très différente dont nous pouvons tirer des enseignements. Elle évite le piège de la cooptation qui menace la construction d’alternatives- ce qui risque de les faire devenir simplement d’autres alternatives dans le système capitaliste- tout en évitant en même temps le piège de la répression et de la marginalisation qui menace les mouvements de résistance radicale. Le travail de construction renforce la dignité, les ressources, l’autonomisation et les alternatives encourageantes aux problèmes actuels, tandis que les mobilisations de résistance des masses abattent et font obstacle aux systèmes de pouvoir des élites dominantes qui exploitent, répriment et détruisent les gens, la nature et la planète sur laquelle nous vivons.

La résistance constructive pourrait donc être un moyen de progresser, Si cela l’est, nous avons beaucoup à faire afin de nous éduquer, de réorienter et de développer des stratégies et des tactiques créeatives, de construire des relations et de former des alliances, et de re-penser la façon dont nous nous organisons. Si nous faisons tout cela, nous pourrions sortir de la présente crise du COVID 19 en étant bien mieux préparés pour faire face à la crise fondamentale de système qui nous menace tous, ainsi que l’avenir de cette planète.

(1) Le MST a gagné au total sept millions et demi d’hectares (voir https://www.britannica.com/event/Landless-Workers-Movement), ce qui représente 75 000 km2 des 110 000 km 2 de Cuba.

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